Des scientifiques découvrent en quoi les neurones humains fonctionnent différemment de ceux des autres animaux
Le gène LRRC37B rend nos neurones moins excitables : comment l'étude de l'évolution du cerveau humain a des implications potentielles pour les épilepsies et l'autisme
22 décembre 2023
Louvain, 22 décembre – En quoi le cerveau humain est-il différent de celui des autres primates ? Sous la direction de Baptiste Libé-Philippot, Joris De Wit et Pierre Vanderhaeghen, le Centre de Recherche sur le Cerveau et les Maladies (Center for Brain and Disease Research) du VIB-KU Leuven ont identifié une pièce du puzzle. Ils ont découvert un gène qui s'exprime uniquement dans les neurones humains et qui joue un rôle clef dans la régulation de leur excitabilité électrique, une composante importante de la physiologie cérébrale et qui est affectée dans des troubles neurologiques tels que l'épilepsie et l'autisme. Cette étude, publiée dans la revue scientifique Cell, élargit notre compréhension de l'évolution du cerveau humain ainsi que de ses maladies.
Roi de la jungle cérébrale
Les humains ont des fonctions cognitives accrues comparé aux autres animaux, notamment en ce qui concerne le langage, la pensée abstraite et la sociabilité. En quoi le cerveau humain et en particulier le cortex cérébral – la couche externe du cerveau qui participe aux fonctions cognitives supérieures – diffèrent de ceux des autres espèces ? La spécificité du cerveau humain repose sur l'évolution de nos circuits neuronaux, de la même manière que les performances d'un ordinateur peuvent être améliorées en modifiant la configuration de ses microcircuits. Mais il est connu depuis quelques années que les unités fonctionnelles de notre cerveau – les neurones qui sont les unités fonctionnelles de nos circuits cérébraux – ont eux-mêmes évolué.
Une caractéristique importante des neurones du cortex cérébral humain réside dans leurs propriétés électriques. En comparaison avec d'autres espèces, les neurones humains sont moins excitables électriquement, générant ainsi moins de signaux électriques (ou potentiels d’action) en réponse aux mêmes stimulations. Les signaux électriques sont cruciaux dans communication neuronale ; une moindre excitabilité neuronale dans le cortex cérébral humain pourrait permettre de traiter des informations plus complexes. Cependant, les mécanismes moléculaires qui rendent les neurones du cortex cérébral humain moins excitables étaient encore inconnu. Aujourd’hui, les chercheurs du VIB ont apporté un éclairage nouveau à ce mystère.
"Nous avons découvert un nouveau gène qui module l’excitabilité des neurones chez l’humain, mais pas dans les neurones des autres espèces", explique le Professeur Pierre Vanderhaeghen. "Cette découverte suggère que certains de nos neurones pourraient fonctionner différemment de ceux d'autres primates, même des chimpanzés, nos plus proches cousins. Cette observation est assez inattendue compte tenu de nos connaissances actuelles sur l'évolution humaine."
Décrypter le paysage neuronal
Dans leur étude, les scientifiques ont découvert une protéine récepteur appelée LRRC37B, présente et active dans les neurones du cortex cérébral humain, mais absente dans les neurones d'autres animaux, y compris les chimpanzés. En interagissant avec d'autres protéines, LRRC37B module l'activité des courants électriques à la membrane des neurones, régulant ainsi la transmission des signaux électriques neuronaux. Les chercheurs ont également démontré que les neurones issus du tissu cérébral humain produisant LRRC37B étaient moins excitables que ceux qui n'exprimaient pas ce récepteur.
"Nos résultats suggèrent qu’au cours de l’évolution, nos ancêtres ont acquis l'expression du gène LRRC37B, régulant ainsi la physiologie de nos neurones", explique le Dr. Baptiste Libé-Philippot, premier auteur de l'étude. "Nos résultats montrent que LRRC37B contribue à une excitabilité réduite des neurones du cortex cérébral humain, une caractéristique qui pourrait contribuer à nos plus grandes compétences cognitives. Par exemple, cela pourrait nous permettre de traiter des informations plus complexes, comme le langage, avec une plus meilleure efficacité et une plus grande précision.
De l'évolution à la thérapie
La découverte du rôle de LRRC37B est importante non seulement pour l'étude du cerveau humain, mais aussi pour comprendre ses maladies et leurs traitements. Les chercheurs ont en effet aussi découvert que la protéine LRRC37B interagit avec diverses autres protéines impliquées dans des formes graves d'épilepsie et d'autisme, qui présentent une excitabilité neuronale anormale.
Le Professeur Vanderhaeghen voit de nombreuses perspectives à ce travail : "LRRC37B constitue une cible très attractive pour des médicaments. En manipulant sa fonction par le biais de médicaments, il pourrait être possible de moduler l’excitabilité neuronale, ce qui pourrait être utile pour traiter de nombreuses maladies neurologiques. Ainsi, en comprenant mieux l'évolution du cerveau humain, nous pourrions trouver des traitements novateurs pour certaines maladies neurologiques, comme certaines formes d’épilepsies ou d'autisme."
Publication (publié le 21/12 à 17h)
LRRC37B is a human modifier of voltage-gated sodium channels and axon excitability in cortical neurons. Libé-Philippot et al. Cell, 2023. DOI: 10.1016/j.cell.2023.11.028
Ce travail a été financé par le Conseil Européen de la Recherche (European Research Council), le programme EOS/FWO, la FWO, le Fonds Generet et la Fondation Médicale Reine Élisabeth de Belgique.
About the VIB-KU Leuven Center for Brain & Disease Research
Scientists at the VIB-KU Leuven Center for Brain & Disease study how brain cells are organized and how they communicate with each other. These mechanisms reveal and provide insights into what goes wrong in brain diseases such as Alzheimer's, Parkinson's, ALS, and dystonia. This basic work should ultimately lead to new drugs for use against these currently incurable diseases.