Des scientifiques découvrent un lien inattendu entre des gènes impliqués dans l'évolution du cerveau humain et des troubles neurodéveloppementaux

Des gènes spécifiques à l'humain régulent un gène majeur associé aux troubles du spectre autistique

Dendrite - extension d'un neurone - d'un neurone cortical humain âgé de 12 mois, cultivé à partir de cellules souches humaines et transplanté dans le cortex cérébral d'une souris. L’expression de deux gènes spécifiques à l'humain, SRGAP2B et SRGAP2C, a été désactivée, ce qui a accéléré la maturation des synapses du neurone. Le nombre de petites protubérances sur la dendrite, appelées épines dendritiques, ressemble à ce que l'on observe généralement chez un enfant de cinq à dix ans. @ Baptiste Libé-Philippot 2024 ​
Dendrite - extension d'un neurone - d'un neurone cortical humain âgé de 12 mois, cultivé à partir de cellules souches humaines et transplanté dans le cortex cérébral d'une souris. L’expression de deux gènes spécifiques à l'humain, SRGAP2B et SRGAP2C, a été désactivée, ce qui a accéléré la maturation des synapses du neurone. Le nombre de petites protubérances sur la dendrite, appelées épines dendritiques, ressemble à ce que l'on observe généralement chez un enfant de cinq à dix ans. @ Baptiste Libé-Philippot 2024 ​

Leuven, 14 Octobre 2024 - Le cerveau humain présente un développement remarquablement lent comparé aux autres espèces de Mammifères, ce qui est appelé néoténie. Ceci pourrait être à l'origine des capacités d'apprentissage accrues dans notre espèce. Des défauts dans ce phénomène pourraient contribuer à certaines maladies neurodéveloppementales. Une équipe menée par Pierre Vanderhaeghen (VIB-KU Leuven), en collaboration avec des scientifiques de l'université de Columbia (États-Unis) et de l'École normale supérieure (France), a découvert un lien entre deux gènes spécifiques à l'humain, présents uniquement dans le génome humain, et un gène clé, SYNGAP1, qui est associé aux déficiences intellectuelles et aux troubles du spectre autistique. Leur étude, publiée dans Neuron, révèle que ces gènes, SRGAP2B et SRGAP2C, sont nécessaires au développement lent des neurones humains, en contrôlant la fonction de SYNGAP1. Cette découverte établit un lien moléculaire direct et inédit entre l'évolution du cerveau humain et les troubles neurodéveloppementaux.

Percer les secrets de la néoténie des synapses

Le laboratoire de Pierre Vanderhaeghen au VIB-KU Leuven Center for Brain & Disease Research a découvert précedemment que la lenteur du développement du cortex cérébral humain repose sur des propriétés intrinsèques aux neurones eux-mêmes, qui possèdent des mécanismes moléculaires spécifiques à l'humain pour ralentir leur vitesse de développement. Aujourd'hui, les chercheurs de son laboratoire découvrent un nouveau mécanisme moléculaire au niveau des synapses des neurones humains du cortex cérébral.

Dans son dernière étude, l'équipe a testé l'implication de deux gènes spécifiques à l'humain, SRGAP2B et SRGAP2C, qui sont apparus dans le génome de l’espèce humaine et absents dans ceux des autres espèces, y compris notre plus proche parent, le chimpanzé. Ces gènes ont été identifiés pour la première fois par Cécile Charrier dans le laboratoire du professeur Franck Polleux (Université de Columbia, États-Unis), où il a été démontré que ces gènes pouvaient ralentir le développement des synapses lorsqu'ils étaient introduits artificiellement dans des neurones du cortex cérébral de souris. Mais il restait à savoir comment ces gènes fonctionnent dans les neurones humains du cortex cérébral.

Pour répondre à cette question, le Dr Baptiste Libé-Philippot, chercheur postdoctoral dans le laboratoire de Pierre Vanderhaeghen, a désactivé l’expression des gènes SRGA2B et SRGAP2C dans des neurones humains, les a transplantés dans le cortex cérébral de souris et a suivi attentivement le développement de leurs synapses sur une période de 18 mois.

« Nous avons découvert qu'en désactivant ces gènes dans les neurones corticaux humains, le développement des synapses s'accélère de façon spectaculaire », explique le Dr Libé-Philippot. « À 18 mois, les synapses sont comparables à celles que l'on pourrait observer chez des enfants âgés de cinq à dix ans ! Cela reflète le développement accéléré des synapses observé dans certaines formes de troubles du spectre autistique ». ​ ​

Vers une meilleure compréhension de la sensibilité aux troubles neurodéveloppementaux chez l’humain

L'équipe a ensuite étudié les mécanismes génétiques sous-jacents à l’action des gènes SRGAP2B et SRGAP2C sur la néoténie des neurones corticaux humains. Ils se sont concentrés sur le gène SYNGAP1, un gène connu pour être impliqué dans la déficience intellectuelle et les troubles du spectre autistique. Le laboratoire de Pierre Vanderhaeghen a récemment découvert qu'il régulait également la vitesse de développement des neurones humains. De manière inattendue, ils ont découvert que les gènes SRGAP2 et SYNGAP1 agissent ensemble pour contrôler la vitesse de développement des synapses chez l'humain. Plus précisement, ils ont montré que les gènes SRGAP2B et SRGAP2C augmentent la quantité SYNGAP1 à la synapse. La manipulation des gènes SRGAP2 a permis d’abolir des défauts observés dans les neurones dépourvus de SYNGAP1, qui imitent certaines conditions pathologiques. Le Dr. Libé-Philippot poursuit: "Cette découverte fournit un nouveau modèle pour comprendre comment les molécules spécifiques à l'humain régulent des voies moléculaires associées aux troubles neurodéveloppementaux, ce qui pourrait expliquer une sensibilité propre à notre espèce à ces troubles".

Le professeur Pierre Vanderhaeghen conclut : ​ « Ce travail nous donne une image plus claire des mécanismes moléculaires qui déterminent la lenteur du développement des synapses humaines dans le cortex cérébral. Il est étonnant de découvrir que les mêmes gènes qui sont impliqués dans l'évolution du cerveau humain ont également le potentiel de modifier des voies moléculaires associées aux troubles neurodéveloppementaux. Cela pourrait avoir des implications intéressantes en clinique: des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre en quoi les mécanismes de développement du cerveau propres à l'humain affectent l'apprentissage et d'autres comportements, et comment leur dérèglement peut conduire à des troubles cérébraux. Certains gènes spécifiquement humains pourraient même devenir des cibles thérapeutiques." ​

Publication

Human cortical neuron neoteny requires species-specific balancing of SRGAP2-SYNGAP1 cross-inhibition at the synapse. Libé-Philippot, et al. Neuron, 2024. DOI: 10.1016/j.neuron.2024.08.021

Ce travail a été réalisé en collaboration avec le VIB, la KU Leuven, l'Université de Columbia (NY, USA) et l'Ecole Normale Supérieure (Paris, France). Il a été soutenu par le Conseil européen de la recherche (ERC), le programme C1 KU Leuven Internal Funds, le programme EOS, ERA-NET NEURON, la Fondation flamande pour la recherche (FWO), le réseau européen NSC-Reconstruct, la Fondation Generet, les National Institutes of Health (NIH, USA) et la Fondation belge Reine Élisabeth.


India Jane Wise

India Jane Wise

Science Communications Expert, VIB

Joran Lauwers

Joran Lauwers

Science & Business Communications Expert, VIB

 

 

 

 

 

À propos de Joran Lauwers

Contact